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Par Pierre Fortin

Grâce à une technologie de pointe, l’image spectrale, la start-up française peut détecter précocement les maladies des ceps et éviter l’usage de pesticides.

Boyan et Alexandre Nedeltchev sont encore très jeunes quand ils émigrent de Bulgarie et s’installent en Bourgogne, où les deux frères grandissent au milieu des vignes. Plus tard, leurs études et leurs carrières les poussent à s’exiler loin des ceps : Alexandre travaille dans les affaires publiques pour de grandes entreprises, tandis que Boyan est ingénieur dans plusieurs sociétés, dont Alcatel et Texas Instrument. C’est là qu’il découvre l’image spectrale, mise au point par la Nasa dans les années 1980, qui permet de révéler l’invisible en décomposant la lumière en dizaines, voire en centaines de couleurs, quand l’œil humain n’est capable que d’en voir trois. « Vers 2015, Boyan a senti une inflexion du marché, la technologie était en train de se démocratiser, raconte Alexandre Nedeltchev, vice-président de RGX Systems. En faisant une analyse d’opportunités, nous avons vu que le vignoble était un petit marché où nous pourrions développer l’imagerie spectrale, avec la perspective de révolutionner les cultures. » En 2018, voilà les frères Nedeltchev de retour à la vigne. Ils fondent à Sophia Antipolis, dans les Alpes-Maritimes, la start-up RGX Systems. Leur but : détecter précocement la maladie des ceps et éviter ainsi l’usage massif des intrants dont la filière est gourmande. En effet, si les chiffres varient selon les sources, la viticulture consommerait de 15 % à 35 % du tonnage des produits phytosanitaires en France, alors qu’elle représente seulement 3 % de la surface agricole.

Crédit : Shutterstock

Lutte contre la flavescence dorée

L’appétit des vignerons pour les pesticides s’explique avant tout par les nombreux fléaux qui s’abattent sur eux. Selon un rapport de l’Assemblée nationale de 2015, 12 % de la production agricole est déjà affectée par les seules maladies du bois avec 1 milliard d’euros de pertes annuelles à la clé. Parmi celles-ci, une inquiète particulièrement : la flavescence dorée. Causée par une bactérie présente dans le cep et véhiculée par un petit insecte amateur de sève, la cicadelle Scaphoïdeus titanus, cette « jaunisse de la vigne » s’étend en France, à tel point que 75 % du vignoble du pays se trouve dans un périmètre de lutte obligatoire. Contre cette maladie incurable, qui ne peut être combattue que par l’arrachage pur et simple du pied de vigne afin d’éviter qu’elle ne se répande, les autorités obligent les viticulteurs à déraciner l’intégralité de leur parcelle si 20 % des ceps sont contaminés. Une catastrophe économique sachant que, faute de temps et de moyens, seulement 19 % des parcelles sont surveillées, selon un rapport du ministère de l’Agriculture réalisé en 2018. Bref, un vrai défi pour RGX Systems et sa solution automatisée.

Feuille de vigne affectée par la flavescence dorée. Crédit : Shutterstock

Eviter 200 tonnes de pesticides par an

La start-up achète ses capteurs auprès de fournisseurs du sud de la France, pour les intégrer directement sur les tracteurs ou les machines à vendanger. Une originalité, par rapport à ses concurrents comme Chouette ou VineWiew, qui utilise des drones. « Ainsi, nous ne créons pas de contraintes supplémentaires pour les vignerons, qui doivent payer un pilote ou se former eux-mêmes. Les capteurs filment pendant le travail des vendanges, les viticulteurs ne perdent pas de temps, précise Alexandre Nedeltchev. En outre, les drones ne voient pas tout, car le feuillage des vignes dissimule les ceps. Or beaucoup de choses se passent sur les rameaux. » RXG systems a ensuite mis au point un algorithme apprenant pour détecter automatiquement les variations de couleurs saisies par l’image spectrale, qui trahissent les signes invisibles de la maladie. Enfin, la société a créé une interface pour le vigneron qui identifie, sur une carte, quel cep est contaminé ou non, pour arracher précisément et précocement le pied avant que la flavescence ne se développe et contamine le reste de la parcelle.

A l’arrivée, un temps précieux est gagné pour les viticulteurs. « Rien que pour les Bouches-du-Rhône, les vignerons mobilisent 500 personnes pendant deux mois et demi pendant les vendanges pour prospecter à pied et détecter à l’œil nu la maladie, déclare Alexandre Nedeltchev. Notre processus automatisé prend huit fois moins de temps, pour un prix égal voire moins cher que le coût actuel. Le retour sur investissement se fait en deux ou trois ans, peut-être beaucoup moins. » RGX systems envisage le développement de sa solution, nommée Agrio, sous forme d’abonnement pour les viticulteurs. En outre, selon le Groupement de défense contre les organismes nuisibles du Libournais, une détection précoce de la flavescence dorée permet de réduire de 86 % l’utilisation d’insecticides utilisés contre la cicadelle, dont 200 tonnes sont pulvérisées chaque année en France d’après les calculs de RGX Systems.

Crédit : RGX system

Un algorithme encore perfectible

Depuis les vendanges 2018, Agrio est testé. « Nous avons eu des très bons résultats de détection sur certaines parcelles, un peu moins sur d’autres, reconnaît Alexandre Nedeltchev. Notre algorithme est encore perfectible car nous souhaitons qu’il soit universel et qu’il détecte la maladie, peu importent les cépages, la météo ou l’heure de la journée. Nous ne voulons pas sortir une solution imparfaite susceptible de nous décrédibiliser. » La start-up de quatre salariés a développé pour le moment sa solution sur ses fonds propres et sur quelques subventions, et reste discrète sur son chiffre d’affaires. Elle indique préparer une levée de fonds afin d’achever la phase de recherche-développement, pour commercialiser sa solution dès 2021. Mais, le projet est suffisamment prometteur pour avoir permis à RGX Systems d’intégrer l’incubateur du Crédit Agricole, le Village by CA, et très récemment, celui de Bernard Magrez, propriétaire de nombreux vignobles dans le Bordelais. La start-up est également membre de deux pôles de compétitivité, Occitech et Innov’Alliance, et développera ses recherches en 2021 en partenariat avec les chambres d’agricultures, l’Inra et l’Institut français de la vigne et du vin. Elle a en outre remporté le prix de la jeune pousse du concours Natur’Tech en 2020.

RGX Systems ne compte pas s’arrêter là : elle veut étendre sa solution automatisée à d’autres pathologies et à certaines plantes, afin de « démocratiser l’imagerie spectrale », selon Alexandre Nedeltchev, et d’éviter autant que faire se peut la pulvérisation de produits phytosanitaires. Car en agriculture, et dans l’intérêt de l’environnement et de l’homme, mieux vaut prévenir que guérir.

Lien de l’article : https://planete.lesechos.fr/solutions/rgx-systems-au-chevet-des-vignes-malades-7246/